Article issu du site Futura Sciences - Publié le 22/02/2014.


La prothèse de main équipée de l’interface neuronale développée par l’équipe du professeur Dustin Tyler de l’université Case Western Reserve. Des capteurs de force sont placés à l’extrémité des doigts et reliés à des électrodes implantées dans l’avant-bras du patient et positionnées sur les trois principaux nerfs. Un boîtier électronique externe se charge de convertir en stimuli électriques les informations provenant des capteurs. Sur cette image, on voit comment la personne, dont les yeux et les oreilles sont occultés, parvient à saisir une cerise entre son pouce et son index artificiels sans l’écraser. ©Functional Neural Interfaces, université Case Western Reserve


Une interface neuronale confère le sens du toucher à une prothèse


Aux États-Unis, un homme ayant perdu sa main dans un accident a retrouvé des sensations tactiles à travers la prothèse qu’il porte. Il est l’un des premiers à tester une interface qui connecte des capteurs placés sur la prothèse à des électrodes reliées aux nerfs de son avant-bras. Les informations sont converties en stimuli électriques qui créent des sensations distinctes. L’espoir est immense, mais un long travail de développement reste encore à accomplir.

Pouvoir se promener en tenant la main de sa femme et sentir ce contact : voilà ce qu’espère Igor Spetic depuis qu’il a essayé une interface neuronale grâce à laquelle il a pu éprouver des sensations tactiles avec la prothèse de sa main droite. Cet homme de 48 ans a perdu ce membre lors d’un accident du travail voilà trois ans. Il est l’une des deux personnes qui participent au premier test pilote qui se déroule au Veterans Affairs Medical Center de Cleveland (Ohio, États-Unis). Cette nouvelle technologie a été mise au point par le département d’ingénierie biomédicale de l’université Case Western Reserve, également à Cleveland. Récemment, en association avec la Darpa, l'équipe avait testé un bras bionique sur un militaire amputé.

La prothèse est équipée de capteurs de force reliés par des câbles ultrafins à de petits patchs en polymère. Ceux-ci ont été directement implantés sur les trois principaux nerfs situés dans l’avant-bras. Chaque patch contient huit électrodes qui émettent des impulsions électriques grâce auxquelles Igor Spetic peut sentir ce qu’il touche avec sa main artificielle. Cette prouesse est le résultat d’un travail de très longue haleine mené par le professeur Dustin Tyler, qui dirige le Functional Neural Interface Lab de l’université Case Western Reserve. Cet expert en interfaces neuronales a passé des années à étudier les mécanismes qui sous-tendent la sensation tactile afin d’élaborer une série de modèles d’impulsions électriques variables en durée et en intensité transmises aux nerfs du bras.


Voici le type d’électrodes enrobées de polymère implanté dans l’avant-bras des deux patients qui se sont prêtés au test pilote de l’interface neuronale. Les chercheurs travaillent à faire évoluer cet élément afin de se diriger vers des « interfaces neuromimétiques », dont le but est de reproduire les propriétés mécaniques, chimiques ou électriques des tissus nerveux. © Functional Neural Interfaces, université Case Western Reserve


Le phénomène du membre fantôme fortement atténué

Le cœur du système se situe au niveau du boîtier d’interfaçage entre les capteurs et les électrodes. C’est lui qui traduit les informations des capteurs de force en impulsions électriques spécifiques qui produisent la sensation de toucher. Ces stimuli génèrent des effets sur une vingtaine de zones situées sur les doigts et la main artificiels. Igor Spetic a expliqué à la revue MIT Technology Review qu’il peut éprouver des sensations réalistes comme celles qui se produisent en appuyant sur une bille en acier, sur la pointe d’un stylo, en touchant du papier de verre ou une boule de coton.

Pour illustrer combien cette interface est performante, Igor Spetic s’est prêté à une série de tests où il devait sentir ce qu’il touchait en ayant les yeux et les oreilles occultés. L’un des exercices (que l’on peut découvrir dans la vidéo en fin de page) consistait à saisir une cerise entre le pouce et l’index de la prothèse pour retirer la queue de la main gauche valide. Sans l’interface neuronale, les fruits étaient invariablement écrasés, car Igor Spetic savait seulement quand la main était ouverte ou fermée, et non s’il avait saisi la cerise. Une fois l’interface activée, le taux de réussite a atteint 93 %. Les électrodes ont été implantées dans le bras d’Igor Spetic voilà un an et demi, et le système a engendré un effet annexe très intéressant. Au bout de quelques mois, la douleur liée au phénomène du membre fantôme, qu’une majorité de personnes amputées ressentent, avait disparu à 95 %.

 

Encore au moins dix ans de développement pour la prothèse sensible

Cependant, de l’aveu même du professeur Tyler, il faut compter encore au moins dix ans pour parfaire le développement de cette technologie et être en mesure de lancer un essai clinique complet. L’une des priorités sera de faire évoluer la partie matérielle, afin notamment que les capteurs et le boîtier d’interfaçage puissent être intégrés directement dans une prothèse de main. À l'EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne), une équipe est elle aussi parvenue à réaliser une main artificielle restituant en partie le sens du toucher mais il faut un ordinateur externe pour analyser en temps réel les données venues des capteurs.

Les chercheurs veulent aussi explorer les pistes des algorithmes génétiques et de la stimulation à haute densité, pour créer une stimulation nerveuse plus ciblée. Ils travaillent également sur des «interfaces neuromimétiques » dont le but est de reproduire les propriétés mécaniques, chimiques ou électriques des tissus nerveux. La finalité est d’intégrer des modules de stimulation qui se comportent presque comme des tissus nerveux naturels.

S’estimant très chanceux de pouvoir participer à cette expérimentation, Igor Spetic n’en reste pas moins lucide. Il sait que ces avancées profiteront plutôt à d’autres personnes à long terme. « Mais aider fut pour moi un plaisir », dit-il avec une abnégation que l’on ne peut que saluer.

 

 

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